Dispositifs télescopiques implanto-portés / Partie 1

Written by | UNPPD, Echos techniques

Les apports des dispositifs télescopiques implanto-portés dans le traitement de l’édenté total

Mémoire de Benoît Duhoux, Prothésiste dentaire – Dieppe
// Certificat de Pratique et Études Supérieures en Prothèse Complète Muco & Implanto Portée

Introduction

Grâce aux progrès considérables apportés dans la préservation des organes dentaires par les soins conservateurs, la proportion d’édentés totaux est en diminution constante en France et dans les pays développés. Pour autant, la structure démographique des régions occidentales se caractérisant par un poids relatif élevé des classes vieillissantes, les besoins en réhabilitations complètes augmentent. Les attentes des patients confrontés au choix d’un tel projet prothétique sont variées ; une part accrue d’entre eux se tourne vers des solutions implanto-portées – amovibles (avec dispositifs de rétention secondaire) ou fixes (scellées, transvissées). La stratégie thérapeutique dans le traitement de l’édenté total ne peut se concevoir que de manière individualisée, en prenant en compte les spécificités esthétiques, physiologiques, psychologiques de chaque patient (sans parler de contraintes économiques). Le choix du type de restauration implanto-portée doit permettre de répondre qualitativement à ses attentes. Les solutions fixées – bridge céramo-métallique, prothèse méthacrylo-métallique ostéo-ancrée plus couramment appelée “pilotis” – ou amovibles – avec attachements axiaux, barres de conjonction – se sont répandus en France et s’intègrent efficacement, au cas par cas, dans les plans de traitement, notamment depuis l’utilisation des procédés de CFAO. En alternative, un autre dispositif de rétention reste méconnu dans notre pays : le système télescopique ou “double couronne”, alors qu’il est employé de longue date dans les pays anglo-saxons sur piliers naturels puis implantaires. Le but de cette présentation est de considérer les propriétés de ce dispositif, et ses apports nombreux à la prothèse complète implanto-portée. Un cas clinique permettra d’illustrer concrètement les implications, pour le prothésiste, du choix d’une réhabilitation complète sur systèmes télescopiques implanto-portés, et du protocole associant étroitement équipe clinique et laboratoire.Benoît Duhoux, Prothésiste dentaire

Un peu d’histoire

Les doubles couronnes, ou couronnes coniques, sont utilisées depuis plus d’un siècle en prothèse dentaire pour des restaurations partielles ou complètes ; comme le nom l’indique, il s’agit d’un système composé de deux parties :

  • 1) un pilier cylindrique ou conique dento-porté ou implanto-porté (autrement appelé la couronne primaire même si ce terme est abusif en implantologie) ;
  • 2) une coiffe venant s’encastrer en coaptation avec le pilier et adhérer mécaniquement à celui-ci pour assurer une force de rétention (la couronne secondaire).

Couple pilier/coiffe, en géométrie conique ou cylindrique

Enfin une suprastructure prothétique solidaire de la coiffe constitue la restauration proprement dite.

Ensemble prothétique (Dentsply Implants©)

Les premières traces documentées d’utilisation d’un système télescopique par doubles couronnes remontent à 1886, aux États-Unis, par Walter R. Starr (1864-1939), docteur en chirurgie dentaire de Philadelphie, qui avait conçu deux bridges amovibles à la mandibule d’un patient partiellement édenté.

Travaux de Walter R. Starr (Dental Cosmos©)

En Allemagne, on trouve dès 1926 des travaux similaires réalisés par Häupl, puis Böttger en 1961, mais il faut attendre les années 1980 et les études de Karl-Heinz Körber (1932-2014) publiées dans son imposant ouvrage “Konuskronen” (couronnes coniques) pour que les systèmes télescopiques prennent une place importante dans les réalisations prothétiques à travers le monde – mais plus réduite en France.

Une couronne télescopique
idéale selon les critères de K.-H. Körber

Selon K.-H. Körber, les systèmes à double couronne devraient impérativement présenter les caractéristiques suivantes pour garantir le succès durable de la restauration :
➜ une intégration et une adaptation parfaites du pilier et de la coiffe ;
➜ une coiffe venant prendre appui fermement sur le pilier, ce qui garantit à la fois la préservation du parodonte et la désinsertion aisée de la prothèse pour le patient.

Le système télescopique a les avantages de sa simplicité de fonctionnement, et les inconvénients de sa difficulté de fabrication.

C’est une réalisation exigeante nécessitant une parfaite adaptation des couronnes et employant des matériaux coûteux. Mais, par-dessus tout :
➜ une couronne télescopique est le seul dispositif de rétention agissant de manière parfaitement axiale sur la dent porteuse ;
➜ elle dispose du maximum de surface permettant de recevoir les sollicitations engendrées par les pressions occlusales ;
➜ elle présente une facilité d’insertion pour le patient ;
➜ la suprastructure étant amovible, il est aisé d’y apporter des modifications au laboratoire ;
➜ le nettoyage et l’hygiène de la prothèse et des tissus sont grandement facilités.

Alors que d’une part l’idée de concevoir des prothèses amovibles complètes implanto-portées stabilisées par des barres de conjonction remonte à 1979 avec les travaux de P. D. Ledermann, et que d’autre part les restaurations télescopiques dento-portées avaient depuis longtemps prouvé leurs qualités multiples, l’idée d’utiliser des systèmes télescopiques supra-implantaires n’a pas rencontré d’écho favorable dans les premiers temps de l’implantologie, sous prétexte que les sollicitations générées par le porteur de la prothèse au cours des insertions et désinsertions étaient susceptibles d’altérer l’assise implantaire.

Piliers coniques sur implants IMZ (Dr Nikola Laux©)

En 1984, un “pionnier” allemand, Dr Nikola Laux entreprend la conception d’une prothèse de cette nature, en utilisant des piliers individualisés par fraisage sur une plateforme de 4 implants IMZ.

Il faut attendre les années 2000 pour que plusieurs études allemandes et américaines permettent de prendre du recul sur les restaurations télescopiques implanto-portées et pouvoir démontrer leur fiabilité grâce à des échantillons de cas relativement variés sur une durée suffisante.

LE COUPLE PILIER CONIQUE / COIFFE TÉLESCOPIQUE

Schéma de principe d’un pilier conique et de sa coiffe télescopique

Après un calcul théorique, la force de rétention d’un dispositif télescopique s’exprime de la manière suivante :
Où f est le coefficient de friction statique des matériaux pilier / coiffe (SFC), L est la pression occlusale exercée, est l’angle au sommet du pilier.

Il en résulte que le pouvoir de rétention du couple pilier/coiffe est directement lié :
➜ à la nature des matériaux employés ;
➜ à la géométrie du pilier ;
➜ à la force d’insertion de la coiffe sur le pilier.

En pratique, quels matériaux employer ?

Le choix des matériaux à privilégier pour la fabrication du pilier et de sa coiffe doit répondre à des critères de précision (coaptation des surfaces), et de durabilité du pouvoir de rétention (conservation d’une force de friction statique suffisante après plusieurs années d’usage). L’expérience montre que les couples suivants répondent de manière optimale à ces critères :
➜ Pilier conique en alliage base titane, grade 4 ou 5, apte à être fabriqué par usinage et à répondre à des exigences de précision élevée // Coiffe télescopique en or, apte à être
fabriquée par électro-déposition en coaptation optimale avec le pilier, ou en alliage base titane, apte à être fabriquée par usinage
➜ Pilier conique en PEEK (sur embase titane) // Coiffe en PEEK
➜ Pilier conique en zircone (sur embase titane) // Coiffe en or

Pilier titane usiné // Coiffe en métaux précieux

Quelle géométrie choisir ?

➜ La force de rétention diminue quand l’angle au sommet augmente. Pour un couple pilier titane grade 5 // coiffe en or, un angle de 6° fournit un pouvoir de rétention de l’ordre de 9 N, et un angle de 4° fournit un pouvoir de rétention voisin de 20 N (à titre de comparaison, la force de rétention d’un attachement Locator® varie de 7 à 22 N)
➜ La force de rétention augmente avec la hauteur du pilier, mais de manière peu significative
➜ Le diamètre du pilier n’affecte pas la force de rétention
➜ La force de rétention augmente avec l’épaisseur de la coiffe, mais de manière peu significative
➜ La force de rétention augmente avec l’espace supérieur entre le pilier et la coiffe

Enfin puisque la pression occlusale varie d’un point à un autre de l’arcade – plus on se rapproche de l’axe charnière, plus elle est élevée –, la force de rétention qui en découle peut donc elle aussi varier d’un pilier à un autre, toutes grandeurs égales par ailleurs ; il en résulte un déséquilibre dans les forces d’ancrages de la prothèse sur les piliers, ce qui complique la manipulation de désinsertion.

Il est donc judicieux de corréler l’angle au sommet de chaque pilier conique avec sa position sur l’arcade : choisir des angles légèrement plus ouverts en postérieur (4 à 6°) qu’en antérieur (2 à 3°) permet d’homogénéiser les forces rétentives, et facilite au patient les manipulations quotidiennes de sa prothèse.

La pression occlusale varie d’un point à un autre d’une arcade

DANS LE PROCHAIN NUMÉRO...
Retrouvez dans le prochain numéro de Prothèse Dentaire Française Actualités, la 2e partie du mémoire de Benoît Duhoux sur les apports des dispositifs télescopiques implanto-portés dans le traitement de l’édenté total avec son illustration par un cas clinique.

Last modified: 28 novembre 2017